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Le ventre d'Ivi Kromm
14 août 2008

Mes amis

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A cette époque, j’étais toujours malade.
Il me semble avoir déjà réfléchi à ce problème lorsque que j’étais adolescent, et avoir conclu qu’avec l’aide de mon cerveau, mon corps focalisait son attention sur l’un de ses problèmes particuliers avant de l’oublier pour un autre bien que rien n’est changé.
Peut-être était-ce légèrement différent à cette époque. Je ne portais plus les petits sur mon dos, j’avais mal. Je ne sautais plus avec la foule devant Personne et Thiéfaine, j’avais mal au genou, me forçant déjà pour avancer jusqu’aux premiers rangs sans qu’on ne remarque que je boitais. Et pourtant je n’avais rien. J’avais la gorge légèrement irritée, mais en permanence. J’étais tordu, fatigué, voûté. J’avais les hanches larges tout en étant le plus maigre des mecs de la région. J’avais les jambes blanches et poilues, j’avais des bras d’asiatique. Le bronzage détruit les irritations de la peau, ça renouvelle.
A cette époque, donc, j’étais toujours malade. Ça durait je crois depuis le mois de Mars. J’enchainais : jouer les jeunes autodestructeurs sur le port devant ou autour de musiciens improbables, faire le beau en crise de tétanie chez d’éventuels amis, tenter toujours de séduire avec une gueule de vieille souche pleine de boue et le nez qui coule, abandonner, attendre. Baisser les bras. Les accepter quand même, même s’ils venaient tous toujours quand je ne voulais pas les voir. Leur ouvrir. M’offrir. Me laisser prendre, comme on prend un esclave sexuel dans les pays pauvres. Mon âme était souillée par leurs spermes mentaux.
Au festival du bout du Monde, Soldat Louis s’étant révélé aussi nul que prévu mais ayant donné lieu à tout un tas de petits phénomènes parallèles intéressants, je me retrouvais seul avec lui et tout d’abord, tout alla bien puisque nous étions subjugués par une Asa complètement inattendue et puissante, puis ces cons de Shantel, avec une énergie impressionnante dans leur Disco des Carpates ou je ne sais quel coin de ce genre, un bout d’un Keziah Jones partiellement invisible avec un goût de trop peu et enfin Bashung.
Quand j’étais enfant, je voyais Bashung comme un chanteur de chanson française, un truc qui passait à la radio, même si ça avait l’air, je disais, en avance sur son temps. Coco, qui a bien plus de mémoire que moi, m’avait refilé l’album et j’avais reçu une première claque. Là, je voyais le rock, la classe bouffie de la gueule qui se cache derrière des lunettes de soleil et chapeau, je l’avais vue de mes yeux, et je dansais follement avec mes dock, mon short et mon blase au cœur de la foule immobile. Je tuerai la pianiste, disait-il et il bougeait, ingrat, lent, et j’étais séduit comme Teng s’asseyait par terre. Le reste de la soirée, vois-tu, beaucoup de choses, beaucoup de choses, tellement de choses qui me plaisaient, m’amusaient, m’enchantaient, mais je restais perplexe vis-à-vis de lui.
Nous n’allions nulle part, et c’était le problème avec la plupart de mes amis. Je l’avais séduit comme j’en avais séduit tant d’autres, j’avais réussi mais derrière… J’assurais pas. J’tenais pas la distance. Qu’est-ce qu’on glandait là, au Festival du bout du Monde, côte-à-côte ? Il se faisait chier, puisque qu’on se s’amusait pas ; il me bridait, puisque j’étais là à l’attendre plutôt qu’à faire de nouvelles expériences.
Je m’accrochai quand même. Il cherchait l’ivresse mais ne la trouvait pas, comme moi. C’est tout ce qui m’attachait à lui finalement. La fascination, l’imaginaire, tout ça, c’était bon quand on était jeunes, maintenant que ça avait disparu, on se rendait compte qu’il n’y avait que ça entre nous. On avait grandi, vieillit. L’autre serait en CDI en septembre. Moi je voulais, et c’est ce que j’ai fait je crois, vieillir en m’enrichissant de toutes les bonnes choses trouvées sur la route. Mes amis vieillissaient en se laissant pousser là où on les voulait.
Et du coup j’avais mal partout, à cette époque, j’étais toujours malade.

12/08/2008, Kerinou.

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