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Le ventre d'Ivi Kromm
26 décembre 2007

Qu'est-ce que tu fais pour Noël?

Je nettoie des cadeaux vides.

Je nettoie des cadeaux vides. Des boîtes oranges et mauves, toutes de la même taille, avec un gros ruban factice en plastique. Je passe le chiffon. J’enlève la poussière: les cadeaux vides doivent toujours être propres et donner envie. Envie, envie, ils sont placés là où on va avoir envie, sur les étagères, et juste en-dessous une grosse promo, un article qui est pratiquement épuisé après moins d’un mois de mise en vente, on le réduit de 1%. Ils sont placés là où l’on a besoin de gaieté, au-dessus des caisses, là où l’on se rend compte que c’est trop, qu’on a pas les moyens, là où l’on a mal d’avoir envie d’être comme les riches en calculant le nombre de repas que ça va nous coûter. Là où l’on cherche la source d’un sourire quand on sera face à eux, faire comme si de rien n’était, comme si on avait assuré, alors qu’on a été faible, point. Faire croire à sa force. Si un peu de force nous revenait au dernier moment, ils sont là, mes cadeaux vides, pour nous achever. Je les ai bien essuyés, ils brillent, n’est-ce pas ?

Je suis le vrai mouton noir. J’entretiens le décor, j’alimente le rêve qui conduit mes frères vers la gueule du loup, je chante avec « Donnons notre amour pour Noël » et je nettoie derrière eux pour les prochains. Pourquoi je fais ça ? Hein ? La carotte. Toujours la carotte. On me fait miroiter des piécettes, et j’ai bien conscience que leur lueur est lointaine, on pourrait m’effacer d’un coup de chiffon sur un cadeau vide. Je n’ai rien signé. Je ne suis rien. Mais très utile.

Alors je nettoie des cadeaux vides. Vides de sens, vides de la joie qu’ils semblent renfermer, vide de l’esprit de Noël. Toute cette soupe dans les hauts parleurs est semblable à mes cadeaux : vide. Une soupe de rien, une soupe d’eau avec les restes de l’année dernière. On reprend les textes la musique et on met un autre chanteur à qui on fait miroiter les piécettes du succès. Tous, ils répètent la même merde, ils savent bien que ça n’a jamais marché mais ils se disent peut-être cette fois, peut-être que moi je vais attrapper la carotte que tous les autres ont râté. Et nous qui arpentons les rayons, nous qui avons conscience de tout ça, on se surprend quand même parfois à esquisser un sourire, à risquer un pas de danse, en se tapant sur l'épaule, en se disant allez ! Après tout c’est la fête, non ? Et on va se trouver tout un tas de justifications : la famille, la tradition, la religion même pourquoi pas, ce côté ancestral…

Ancestral de rien évidemment. Les cadeaux sont vides, la fête est vide. Les sapins de Noël, le père Noël, et puis on mélange tout, on passe des lutins aux elfes, on met de la neige partout alors qu’il pleut et que la neige ça fait quinze ans qu’on en a pas vu, les décorations, tout ça, allez on prend… Deux générations, ça suffit. Est-ce que nos grand-parents faisaient tout ça ? Demandons, pour voir. Et encore, à ce stade, on replonge, on se dit et alors ? Ça fait de mal à personne, c’est que de la joie, allez ! Rien n’est inutile, pourtant. Cette fête inventée, cette obligation d’être joyeux sert à quelqu’un. Elle sert à justifier la douleur du reste de l’année. Vous aurez des pauses, bien sûr, des anniversaires, des occasions où vous aurez le droit de sourire, mais pas trop. Le reste du temps, il faudra vous saigner. La nation a besoin de vous, et tout ça c’est pour vous, hein, ne l’oublions pas ! C’est vous qui voulez la carotte.

C’est vous qui voulez la carotte, hein ? C’est vous qui la voulez !

Et bien sachez le maintenant. Tous ça est faux. Les cadeaux sont vides, et c’est votre frère qui les nettoie pour vous attirer.

Vers midi le mercredi 26/12/2007 à Aberystwyth, Alex Hall.

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