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Le ventre d'Ivi Kromm
10 décembre 2008

Sous les combles

Après une courte hésitation, j'attrapai un pot de marmelade d'oranges amères et filai vers les caisses. Comme d'habitude il fallut poiroter, poiroter... La caissière était amorphe, mais ce n'était pas pour ça qu'on devait poiroter, elle allait aussi vite que les autres mais il y avait beaucoup de monde. Elle n'était pas amorphe dans ses gestes mais dans son attitude. Je balançai mes courses dans des sacs poubelles et m'étonnai du montant puis je sortis. J'avais une douleur au gros orteil gauche depuis le matin, alors je le bougeai dans tous les sens pour remettre les choses en place, la mendiante en fut décontenancée et balbutia quelque chose d'incompréhensible que je ne cherchai pas à comprendre: le hérisson m'attendait.

Je filai sous la pluie, mes sacs poubelles à la main. Ça devenait de plus en plus désagréable. Je me mis à longer les murs et puis choisis soudainement une porte pour aller me réfugier. J'étais dans le tambour. Des jeunes riaient et parlaient fort avec un ton qui me rappelait un gars de la télé. Je me trémoussai rapidement pour faire tomber l'eau et m'assis, puis posai mon sac à dos pour en extirper le dossier sensible. Toujours pas de nouvelles du hérisson. Je lui envoyai un message puis fouillai mes poches à la recherche de tabac, mais trouvai au passage des écouteurs qui me firent passer l'envie de fumer et je me branchai sur la radio. C'était une évocation rêveuse des français et maghrébins trucidés pendant la première boucherie mondiale. L'intervenant était photographe, ami de feu le célèbre antimilitariste dont je n'avais jamais entendu parler, c'était morbide, puissant et à vrai dire j'étais prêt à me lancer dans la lutte quand la présentatrice dit qu'ils allaient devoir s'arrêter le temps d'une alerte-enlèvement. Il y eu en effet un bruit d'alerte et un journaliste prit la parole pour raconter des histoires de bébés et de grosses femmes aux manteaux noirs dans un coin inconnu, sans doute du côté de la capitale française. C'était glauque. Quand l'émission reprit, je n'étais plus concentré et heureusement le hérisson arriva à ce moment-là. Je remis rapidement les pièces détachées dans l'ordre, lui remis le dossier ainsi qu'un paquet d'autres que j'avais pris soin de vérifier, et puis nous nous racontâmes nos vies pendant quelques instants. Je remis mon sac sur mon dos, empoignai les courses et le laissai près des vélos, c'est là d'ailleurs que je remarquai que les gens nous regardaient avec incompréhension, n'entendant pas un traître mot à notre dialogue. Comme ils restaient calmes, prétendant même ne pas se rendre compte de quoi que ce soit, mimant la personne qui ne fait rien, ne pense rien, enfin, exactement l'attitude de ceux qui pensent quelque chose qu'ils ne veulent pas qu'on remarque, je sautai dans le métro en les ignorant. Je m'assis à côté d'un gros monsieur qui semblait avoir envie de lâcher quelque chose mais n'avait pas, apparemment, de mots à sa disposition. Je remis mes écouteurs: c'était encore le gang des grosses aux cheveux courts et aux manteaux noirs, alors que coupai le tout pour réfléchir aux anarchistes et aux ultra-marseillais en observant mes concitoyens. Tout à coup, une odeur me passa sous la gueule et elle s'intensifia: c'était le gros! Je réalisai que ce qui jusqu'à lors n'était qu'un filet devenait un gaz lacrymo alors je me levai et lui signifiai vertement qu'il puait la merde avant de m'éloigner. Le gros ne broncha pas, il me regardait même avec un regard de désespéré amorphe et c'était insupportable alors je sortis à l'arrêt suivant, le mien, et m'engageai dans les escalators ou différents traders me bousculèrent pour arriver plus vite en haut. Moi, je chantonnais. J'aime chantonner dans les escalators. J'aime surtout voir si les marches vont plus ou moins vite que l'accoudoir. C'est souvent le cas et je m'amuse à ne pas lever mon coude jusqu'à risquer de tomber sur la personne la plus proche de moi. Ensuite, j'établis mon parcours en anticipant le passage des bus, le changement de couleur des feux, tout ça, et me lançai. L'accordéoniste était à sa place, ne sachant pas plus jouer que d'habitude, et interrompant son jeu pour demander des pièces. Il y avait aussi ce jour-là un SDF avec un bonnet de père noël ridicule qui essayait de refourguer des vieilles cartes postales présentant des dessins de merde, il avait dû trouver ça dans la poubelle d'une papeterie, mais je n'avais pas le temps d'évaluer l'affaire, je voulais rentrer, j'en avais marre, partout des images de l'alerte au gang apparaissaient et disparaissaient, des camions passaient avec des haut-parleurs pour donner la description de la grosse à l'imper, et même l'accordéoniste s'y mettait en agitant son vieux soufflet défoncé: « Un bébéééé a disparuuuuuuuuuu... », et ça montait dans des aigus plus que douteux. Devant le bar, j'entendis des voix m'appeler. C'était deux psychologues joyeux qui buvaient des bières et ils me payèrent un verre rouge en souriant et nous discutâmes ainsi pendant quelques minutes. Je leur demandai de garder mes sacs le temps que j'aille au toilettes, mais le bar était bondé, il était impossible d'avancer, même si deux files se dessinaient dans la foule, comme un embouteillage sur une départementale de limaces. Un peu éméché par le vin, je regardais avec amusement l'expression des visages qui passaient à côté de moi, allant dans le sens inverse, nous frottions tous nos grands ponchos trempés quand tout à coup un drôle me fixa plus longtemps que les autres et finit par me dire d'un ton déterminé mais d'une voix retenue: « Tu as une araignée sur la face. » Indécis, je me décidais à traverser la départementale pour accéder aux distributeurs de cacahuètes et de préservatifs. Les toilettes étaient humides et sales, j'en sortis rapidement et quittai les psychologues. Alors que je m'éloignai, il me lancèrent, « Fais gaffe à la grosse en parka noire hein! ». Enervé, je ne vis pas la voiture qui arrivait de la gauche et elle klaxonna un bon coup en pilant devant moi, ce qui me fit bondir comme une étoile.

Quand j'arrivai chez moi, je jetai tous mes sacs d'un coup et m'affalai sur mon tabouret, me cognant contre le pan de mur penché au-dessus de mon bureau, ce qui me fit paniquer et jurer contre cet agent qui m'avait convaincu qu'un appartement sous les combles me ferait entrer dans une nouvelle dimension. J'étais paniqué, j'avais le vague souvenir d'une mise en garde d'un grand docteur à propos des coûts sur la tête, soit-disant que ça pouvait provoquer des traumatismes neurologiques irréversibles par destruction des neurones préposés aux déterminismes humains de la grammaticalité et de la technicité qui malgré une compensation possible ne pouvaient pas être totalement recouvrés. Je me baissai pour ramasser le courrier, un grand encart publicitaire me proposait de faire le 3615 Enfant. Dégoûté, j'allumais la radio, c'était un entretien avec Laurent Voulzy, et le présentateur disait des choses telles que « Laurent, vous avec donc écrit de nombreux tubes, mais tout d'abord voici un communiqué du ministère de la Justice. » Sur le site internet de l'émission, on pouvait voir des clips chauds, comme le scandaleux « I want your sex » de George Michael... C'était d'un mièvre... Alors j'allai m'enfermer dans la salle de bains un instant.

L'instant d'après, j'ouvrai la fenêtre et passai une jambe par dessus le rebord. Ma ranjo percuta une ardoise et le reste de mon corps apparut furtivement sur les toits dans une combinaison de cuir avant de disparaître derrière une cheminée. J'avais le reste de la nuit pour trouver un bébé de deux semaines, type européen, vêtu d'une grenouillère violette.

09/12/2008, Rennes.

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